L’œil de l’expert #10
La Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, a évoqué le samedi 26 juillet dans le journal Le Monde la possibilité de faire évoluer la prise en charge des arrêts maladie, en confiant aux entreprises le soin d’indemniser les salariés jusqu’au septième jour d’absence. Une déclaration qui relance le débat sur l’équilibre entre solidarité nationale et prise en charge par l’employeur. Focus sur les conséquences de cette possible réforme, pour les salariés et pour les employeurs.
Un système actuel qui répartit les charges en cas d’arrêt maladie du salarié
Lorsqu’un salarié est en arrêt maladie, il n’est en principe pas indemnisé pendant les trois premiers jours : c’est le délai de carence. Ce délai peut être supprimé par certaines conventions collectives ou accords d’entreprise, notamment dans les grands groupes ou les secteurs protégés. Ensuite, à partir du quatrième jour, l’indemnisation relève de l’Assurance maladie, qui verse des indemnités journalières (les IJSS) représentant environ 50 % du salaire brut, dans la limite d’un plafond d’un 1,4 SMIC. Un délai d’un an d’affiliation à la Sécurité sociale et un minimum d’heures travaillées sont également exigés pour bénéficier de ces IJSS.
Dans certains cas, l’entreprise doit compléter cette indemnisation : c’est l’obligation de maintien de salaire, prévue notamment par le Code du travail pour les salariés ayant au moins un an d’ancienneté. Ce complément peut varier selon les conventions collectives, et certains employeurs vont au-delà de leurs obligations légales, ce qui aboutit à un certain équilibre des charges entre employeurs et Assurance maladie.
Enfin, dans le cas où un régime de prévoyance est en place dans l’entreprise, celui-ci peut également intervenir pour compléter les IJSS et le maintien employeur, en particulier lors des arrêts de longue durée.
Une proposition politiquement sensible et au chemin encore long
Dans une récente interview, la Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles propose que les entreprises prennent en charge l’indemnisation des salariés pour la totalité des sept premiers jours d’arrêt maladie.
L’objectif annoncé est double : permettre à la Sécurité sociale de réaliser des économies – estimées à environ 1 milliard d’euros par an – et responsabiliser les entreprises face aux arrêts de courte durée.
À ce stade, il ne s’agit encore que d’une déclaration d’intention : aucun texte officiel n’a été publié. Cette proposition pourrait être intégrée au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, discuté à l’automne. D’ici là, le sujet suscitera des arbitrages, à la fois budgétaires et politiques, et pourrait rencontrer des oppositions syndicales comme patronales : le débat reste donc pleinement ouvert et pourrait ne pas attendre les discussions au Parlement.
Des effets différenciés pour les salariés
Du point de vue des salariés, cette réforme pourrait apporter davantage de prévisibilité : une indemnisation plus rapide, dès le premier jour, sans dépendre du traitement par la Sécurité sociale. Pour les salariés les moins couverts par des accords collectifs – notamment ceux des petites entreprises – ce changement représenterait une avancée immédiate en cas d’arrêt maladie.
Mais tous les salariés ne seraient pas logés à la même enseigne. Les conditions d’ancienneté prévues pour le maintien de salaire resteraient-elles applicables ? Faudrait-il justifier d’un an d’ancienneté pour bénéficier de cette prise en charge ?
Un coût direct pour les employeurs
Pour les employeurs, cette réforme représenterait une nouvelle charge financière directe. En effet, prendre en charge l’intégralité de la rémunération d’un salarié pendant les sept premiers jours d’arrêt maladie reviendrait à alourdir la masse salariale.
Et à la différence des indemnités journalières de la Sécurité sociale, les sommes versées par l’employeur seraient dans ce cas soumises aux cotisations sociales.
Un exemple chiffré permet de mieux cerner l’impact sur le coût du travail et la trésorerie.
Situation d’un salarié en arrêt de travail pour 10 jours :
Situation actuelle : Carence CPAM 3 jours | Situation envisagée : Carence CPAM 7 jours | |
Salaire | 2 200,00 | 2 200,00 |
IJSS | – 253,15 | – 108,49 |
Ajustement au net | – 45,78 | – 19,62 |
Brut soumis | 1 901,07 | 2 071,89 |
Salaire net perçu | 1 721,98 | 1 721,69 |
Total des charges patronales nettes | 523,48 | 570,02 |
Coût employeur total | 2 424,55 | 2 641,91 |
Surcoût employeur | 217,36 |
Ce nouveau transfert de charge vers les entreprises s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’une responsabilisation croissante du secteur privé dans la gestion du risque social. Reste à savoir si cette réforme s’accompagnera, ou non, de mécanismes de compensation, et si son inscription dans la loi sera confirmée.