L’Œil de l’Expert #11
La proposition gouvernementale de supprimer deux jours fériés, annoncée le 15 juillet par le Premier ministre dans le cadre du plan d’économies de l’État, suscite de nombreuses interrogations. Derrière les enjeux politiques et symboliques, ce sont des conséquences très concrètes qui se dessinent, tant pour les salariés que pour les responsables paie. La ministre du Travail a également évoqué la création d’une contribution versée par les entreprises « en contrepartie de la richesse créée », laissant entrevoir un volet financier qui viendrait s’ajouter aux défis techniques et organisationnels.
Entre suppression pure et création de nouvelles journées de solidarité : quelle architecture juridique ?
La France compte actuellement onze jours fériés, dont certains sont chômés de droit, comme le 1er mai, et d’autres peuvent être travaillés selon des modalités propres à chaque convention collective ou accord d’entreprise. Les jours évoqués pour une suppression sont le lundi de Pentecôte et le 8 mai, mais la question demeure : cette mesure prendra-t-elle la forme d’une suppression pure et simple de deux jours fériés dans le calendrier officiel, ou bien d’une création de deux nouvelles journées de solidarité inspirées de celle instaurée en 2004 ?
Cette incertitude juridique entraîne une série de conséquences potentielles pour les branches et les entreprises. Certaines conventions collectives garantissent un nombre minimal de jours fériés chômés, ce qui pourrait imposer aux employeurs d’ouvrir des négociations ou de conclure des avenants pour se mettre en conformité. Quelles contreparties devront alors être accordées aux syndicats pour compenser cette perte de jours non travaillés ? Ces ajustements, complexes et sensibles, risquent de provoquer de vifs débats au sein des instances représentatives.
Les salariés en première ligne : perte de repos, perte de rémunération ?
Pour la plupart des salariés, la suppression de jours fériés ne se traduira pas par une baisse de salaire : ces jours, qu’ils soient chômés ou travaillés, étaient déjà intégrés à la rémunération. Cependant, la disparition des majorations pour ceux qui travaillaient habituellement les jours fériés constitue une perte réelle. Dans des secteurs comme le commerce, la santé ou la logistique, où le travail lors des jours fériés est courant et souvent rémunéré avec des majorations significatives, l’impact peut être notable. Un salarié bénéficiant d’une majoration de 100 % le 8 mai, par exemple, ne percevra plus ce complément de revenu si ce jour devient un jour ouvré classique.
La situation des salariés en forfait jours est également source d’incertitude. Ces derniers pourraient se voir imposer deux jours de travail supplémentaires, leur forfait passant de 218 à 220 jours, à moins que des contreparties ne soient prévues sous forme de jours de repos supplémentaires. La réponse à cette question dépendra directement des arbitrages législatifs et conventionnels à venir.
Services paie : un effet domino à anticiper
Du côté des services paie, la suppression de jours fériés n’est jamais une simple modification de calendrier. Elle implique une série d’ajustements techniques et réglementaires qui doivent être orchestrés avec une grande précision. Les logiciels de paie devront être reparamétrés : codes de jours fériés à supprimer, seuils d’heures travaillées à recalculer, modèles de bulletins à adapter. À cela s’ajoute la révision des droits annexes : les RTT, les congés et les forfaits jours sont souvent directement calculés à partir du nombre de jours fériés dans l’année.
Les conséquences se répercutent également sur les déclarations sociales (DSN) : toute évolution du traitement d’un jour férié influence les bases de cotisations, les heures majorées ou les plafonds d’exonération. Une vigilance particulière sera requise pour éviter les erreurs dans les premiers mois de mise en œuvre.
Le précédent de la Journée de solidarité de 2004 est révélateur. Chaque entreprise avait dû inventer ses propres solutions, parfois au prix de longues négociations internes, et les services paie avaient été en première ligne pour assurer la traduction de ces décisions dans les bulletins de salaire. La diversité des régimes, entre branches et accords d’entreprise, promet de rendre l’exercice tout aussi complexe cette fois-ci.
Une réforme plus politique que technique, mais au fort impact RH
Même à l’état de projet, cette réforme montre à quel point les décisions politiques se traduisent rapidement en défis pour les services RH et paie. Derrière une mesure présentée comme simple, les ajustements techniques, la communication interne, la sécurisation des données et les éventuelles négociations sociales exigeront une anticipation minutieuse.
Le bulletin de paie, reflet des choix collectifs, se retrouve une fois de plus au carrefour d’enjeux économiques, sociaux et politiques. Plus que jamais, il s’impose comme le miroir de la complexité administrative et de la capacité des entreprises à accompagner le changement.