L’œil de l’expert S4S #15
Vingt-trois ans après le texte fondateur du 20 décembre 2002, un nouvel arrêté du 4 septembre 2025 vient refondre en profondeur la déduction forfaitaire spécifique (DFS). En effet, cet arrêté acte sa disparition progressive et programmée : un tournant majeur pour les entreprises de plusieurs secteurs d’activités qui devront à la fois réviser leurs pratiques et naviguer dans une période d’incertitude juridique.
La DFS, instaurée pour compenser les frais professionnels supportés par certaines catégories de salariés, permettait jusqu’ici d’alléger l’assiette des cotisations sociales. Plutôt que de rembourser les frais au réel, les employeurs appliquaient un abattement forfaitaire sur le salaire brut, selon un taux fixé par secteur, avec de grandes disparités entre ces taux. Ce dispositif avait pour avantage de simplifier la paie et d’alléger le coût du travail.
Un dispositif avantageux pour les salariés, et pratique pour les professionnels de la paie
Ainsi, la DFS concernait notamment les professions particulièrement mobiles ou exposés à des frais quotidiens : les salariés du bâtiment et des travaux publics, les conducteurs routiers, les personnels de nettoyage, les artistes du spectacle vivant, les journalistes, les VRP ou encore les personnels navigants de l’aviation civile. Ces taux d’abattement pouvaient atteindre jusqu’à 30 %, dans la limite d’un plafond annuel de 7 600 €.
Depuis le 1er avril 2023, une nouvelle réglementation publiée au BOSS avait déjà amorcé la transition de la DFS en subordonnant son application à la preuve de frais effectivement engagés : une évolution qui était déjà une première étape vers la disparition du dispositif à terme.
Un nouvel arrêté qui acte la fin du dispositif
Le nouvel arrêté du 4 septembre 2025 vient accélérer cette évolution et entérine la disparition du dispositif de la DFS. Cet arrêté remplace celui du 20 décembre 2002 et reprend la majorité de ses dispositions, mais avec plusieurs modifications importantes. D’une part, il confirme la trajectoire de suppression progressive de la DFS pour les huit secteurs qui bénéficiaient jusqu’ici d’une dérogation. Pour ces professions, le calendrier d’extinction déjà défini par le BOSS est désormais gravé dans le marbre réglementaire, avec des échéances étalées entre 2029 et 2038. D’autre part, l’arrêté introduit une extinction accélérée pour toutes les branches qui appliquaient encore la DFS. Entre 2026 et 2031, le taux d’abattement sera réduit chaque année de 15 % du taux applicable en 2025, avant une suppression complète au 1er janvier 2032. Cette accélération, combinée à la valeur juridique de l’arrêté, consacre la fin d’un dispositif qui aura accompagné pendant deux décennies la gestion sociale de milliers d’entreprises.
| Métiers | Taux initial | Réduction par année | Taux 2025 | Extinction |
| Propreté | 8 % | 1 point de 2022 à 2029 | 4 % | 2029 |
| Construction | 10 % | 1 point de 2024 à 2030, 1,5 point de 2031 à 2032 | 8 % | 2032 |
| Transport routier de marchandises | 20 % | 1 point de 2024 à 2027, 2 points de 2028 à 2035 | 18 % | 2035 |
| VRP et journalistes | 30 % | 2 points de 2024 à 2038 | 26 % | 2038 |
| Spectacle vivant (musiciens…) | 20 % | 1 point de 2024 à 2025, 2 points de 2026 à 2028, 3 points de 2029 à 2032 | 18 % | 2032 |
| Spectacle vivant (artistes dramatiques) | 25 % | 2 points de 2024 à 2025, 3 points de 2026 à 2032 | 21 % | 2032 |
| Casinos, cercles de jeux | 8 % | 1 point de 2024 à 2031 | 6 % | 2031 |
| Aviation civile | 30 % | 1 point de 2023 à 2033 | 27 % | 2033 |
Des incertitudes majeures pour les employeurs
Malgré la clarification apparente que représente ce nouvel arrêté, plusieurs points suscitent encore des interrogations. Le texte ne reprend pas, par exemple, la règle introduite par le BOSS imposant que le salarié engage effectivement des frais professionnels pour que la DFS puisse s’appliquer. Ce silence laisse planer un doute : cette condition demeure-t-elle implicite, ou bien est-elle écartée pour tous les secteurs, comme c’est déjà le cas pour les huit secteurs bénéficiant de dérogations ?
L’absence de réponse officielle crée une insécurité juridique, notamment pour les entreprises qui devront appliquer dès 2026 les nouvelles règles de réduction. Autre incertitude : l’extension éventuelle aux nouveaux secteurs des tolérances accordées aux huit branches historiques, comme la non-réintégration dans l’assiette des cotisations des remboursements de frais déjà perçus, ou encore la simplification du consentement des salariés. Ces points, non tranchés à ce stade, pourraient faire l’objet de précisions de l’administration dans les prochains mois.
Des obligations formelles à ne pas négliger
Sur le terrain opérationnel, le nouvel arrêté conserve l’exigence de consentement des salariés, mais en assouplit les modalités. Désormais, l’accord peut être intégré au contrat de travail ou à un avenant, et le silence du salarié vaut acceptation lors du renouvellement annuel. Si cette évolution simplifie la gestion RH, elle suppose néanmoins un suivi rigoureux pour éviter tout risque de requalification lors d’un contrôle URSSAF.
Les directions paie devront par ailleurs adapter leurs paramétrages et recalculer chaque année les taux applicables selon la trajectoire de réduction. Au-delà de l’aspect purement technique, la disparition de la DFS obligera de nombreuses entreprises à revoir leur politique de remboursement des frais au réel : un changement plus lourd administrativement et souvent source d’incompréhension pour les salariés.

